Willy Ronis, photographe
Gentil, Willy Ronis ? Jusqu'au bout, le photographe a laissé son nom et son numéro de téléphone dans le bottin. Et les gens, célèbres ou non, défilaient pour venir le voir dans son appartement parisien du 20e arrondissement : journalistes, aspirants photographes, admirateurs... Willy Ronis tutoyait tout le monde, racontant ses histoires de photographe sans jamais se lasser, avec un enthousiasme et une précision incroyables.
14 août 1910
Naissance à Paris.
1936
Photographie le Front populaire.
1945
Rejoint l'agence Rapho.
1954
Publie "Belleville Ménilmontant".
1972
Quitte Paris pour L'Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse).
2005
Rétrospective à l'hôtel de ville de Paris.
11 septembre 2009
Mort à Paris.
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Gentil, Willy Ronis ? Le photographe ne l'a jamais nié. Une gaieté et une empathie qu'on retrouve dans ses images : avec leurs couples d'amoureux et leurs enfants rigolards, leurs petits métiers et leurs guinguettes animées, leurs gens modestes mais heureux, les photos de Willy Ronis sont tendres, et même "sentimentales". "Vous ne trouverez pas une seule photo méchante, expliquait-il au Monde en 2005. Je n'ai jamais voulu donner des gens une image ridicule."
Et, alors que le passé qu'il décrit s'éloigne, ces photos alimentent à jamais la nostalgie d'une France pittoresque et fraternelle, proche de la carte postale. Une France de rêve plus que de souvenir.
Willy Ronis est mort à Paris, le 11 septembre, à 99 ans. Soit quinze ans après Robert Doisneau, dont la notoriété l'a longtemps éclipsé. Avec lui, c'est la page de la photographie dite "humaniste" qui se tourne. Comme Doisneau, Edouard Boubat, Izis, Sabine Weiss, Janine Niépce..., Ronis a travaillé pour les journaux dans l'après-guerre, en se concentrant sur la vie quotidienne des Français juste avant le grand bond dans la modernité.
Willy Ronis était issu de ces classes populaires qu'il a si souvent photographiées. Ses parents étaient des juifs d'Europe de l'Est qui avaient fui les pogroms, et son père, "ouvrier photographe", avait ouvert un petit studio à Paris. Mais c'est la musique, et non la photographie, qui attire initialement Willy Ronis : le jeune garçon se rêve compositeur. Le cancer de son père met fin à son rêve. Le voilà forcé de devenir son assistant au studio - un travail qu'il déteste. Les images de communiants, les incontournables "bébés nus sur peau de bique" l'ennuient mortellement.
"Le coeur à gauche"
Quand son père meurt, en 1936, Willy Ronis plaque le studio et bat le pavé à la recherche d'une photo plus spontanée. A Arles, en juillet 2009, le photographe expliquait : "J'avais rencontré Robert Capa et Chim (Seymour) chez mon père, ils venaient se servir de sa glaceuse. Ils étaient reporters de guerre, ils rentraient d'Espagne, ils avaient une auréole ! Moi je ne pouvais pas partir, j'avais ma mère à charge. Mais au moins je pouvais être dehors."
Un mois après la mort de son père, Willy Ronis se poste place de la Bastille, pour la victoire du Front populaire, le 14 juillet 1936. Dans la foule en liesse, il repère une enfant le poing levé sur les épaules de son père : elle deviendra la célèbre Petite fille au bonnet phrygien. Toute sa vie, Willy Ronis se délectera des manifestations, des grèves, de la vie ouvrière, de la Fête de L'Huma. De tous ses complices de l'école humaniste, il est sans doute le plus engagé. Communiste, il aura sa carte au parti de 1945 à 1965. "J'ai toujours été motivé par les problèmes économiques et sociaux, disait-il, par la condition humaine... en tant qu'homme et photographe. Je mourrai le coeur à gauche."
La guerre n'est pas une période faste pour le fils d'immigrés juifs. Le photographe vit d'expédients et se réfugie en zone libre pour ne pas porter l'étoile jaune. Chez lui, à Paris, il conservera précieusement celle de sa mère, qu'il montrera souvent, éternel indigné, aux visiteurs de passage.
C'est à la Libération que Ronis se fait vraiment un nom. Car les journaux ont le vent en poupe, et les photographes suivent le mouvement. Les images de Willy Ronis vont coller à la faim de vivre qui saisit alors la France.
Très tôt, son style est en place : des noir et blanc à la lumière travaillée, une composition rigoureuse héritée des peintres flamands des XVIe-XVIIe siècles, Bruegel, Rembrandt. "Enfant, j'ai passé des heures à recopier les peintres au Louvre. Pour être bonne, une photo doit tenir debout, avoir une harmonie, exactement comme un tableau." Contrairement à bien des photographes de l'époque, Willy Ronis se dit artiste. "Je savais bien, moi, que je n'étais pas qu'un presse-bouton !" Ses sujets, ce sont d'abord les gens : "Les rues vides ne m'intéressent pas." Les petits métiers, les ouvriers à l'usine, les bords de Marne, les couples, la jeunesse... le tout sans spectaculaire, en se concentrant sur le quotidien et la "poésie de la rue".
En une dizaine d'années fastes, Ronis signe presque toutes ses icônes : la syndicaliste qui harangue les ouvriers en mars 1938 aux usines Citroën-Javel - même si la photo ne sera pas publiée avant les années 1980 -, le couple d'amoureux sur la colonne de Juillet place de la Bastille avec la ville de Paris à ses pieds, le petit garçon hilare qui court avec un pain plus grand que lui sous le bras, la péniche aux enfants sous le pont d'Arcole... Le photographe passe aussi des heures à arpenter le quartier Belleville-Ménilmontant, auquel il consacre un livre en 1954, Belleville Ménilmontant, devenu un classique.
Willy Ronis a d'autres cordes à son arc : il fait aussi de la mode, parfois de la publicité ou des photos de sports d'hiver. Pendant toute sa vie, il aimera aussi capturer des nus aux courbes délicates. On trouve bien quelques images mélancoliques - qui disent souvent la solitude de l'homme perdu dans la foule - mais le ton général est optimiste.
"Mes photographies présentent un visage de Paris qui pourrait - faussement - passer pour un paradis, disait Ronis. La vie était dure... mais ces années 1950 embaumaient la liberté. On respirait, après toute la douleur de la guerre." Une vision radieuse qui lui vaut de figurer dans "The Family of Man", la grande exposition itinérante d'Edward Steichen en 1955, qui chante l'universalité des émotions humaines quels que soient les pays et les cultures.
Moments difficiles
C'est surtout dans la presse que Ronis a montré ses images, en particulier dans le magazine communiste Regards : "Nous étions des camarades ; avec eux il n'y avait pas de malentendu possible." Car le photographe a de mauvaises expériences : un jour, le New York Magazine recadre une de ses images et la légende de façon à dire du mal des syndicalistes. Furieux et entier, Willy Ronis va alors trier ses publications sur le volet.
Il renonce même à travailler pour le prestigieux magazine américain Life : "Ils payaient royalement, mais les légendes étaient revisitées à New York. Cela ne me plaisait pas." Et, alors que la guerre froide bat son plein, il finit par quitter momentanément son agence, Rapho, pour être sûr de maîtriser totalement l'utilisation de ses images.
La période faste ne dure pas. Dans les années 1960, Willy Ronis connaît des moments difficiles. L'heure n'est plus à l'idéalisme rassembleur de la photographie humaniste, les jeunes photographes le "poussent vers la sortie". Alors il s'exile avec sa femme, Marie-Anne, à L'Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse). Il faudra attendre les années 1980 pour voir son oeuvre revenir en grâce. A la suite de Doisneau, les livres sortent, innombrables, les cartes postales s'accumulent qui célèbrent le Vieux Paris - au risque de réduire son oeuvre à cela.
Une grande rétrospective gratuite, à l'Hôtel de Ville, en 2005, achève de le consacrer : elle réunira plus de 500 000 visiteurs, qui communient dans cette vision rêvée d'une capitale et d'une époque, avant que soient construites les tours de la Défense et qu'on se lamente sur la tristesse de la banlieue.
Veuf, sans enfant depuis que son fils s'était tué dans un accident de deltaplane, Willy Ronis avait fait don de son oeuvre à l'Etat en 1986. Et, en 2001, il avait lâché l'appareil : la tête restait froide, mais les jambes refusaient de le porter.
Lorsque cet été, quelques mois avant sa mort, les Rencontres photographiques d'Arles avaient mis son travail à l'honneur, le photographe avait fait le voyage. En chaise roulante, il goûtait à son dernier plaisir : raconter encore, avec sa légendaire gentillesse, les mille et une petites histoires cachées derrière ses photographies.
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Uma Photographia por si só vale por mil palavras?